Pour Roger
Ici, je vais demeurer
Un lieu planté de cyprès magnifiques où rêvent les oiseaux, les araignées, et même les champignons complices, attentifs aux mottes qui protègeront leur admirateur passionné, lui prodiguant leurs saveurs inoubliables.
Un lieu de souvenirs où se mêlent les racines familiales, les folâtreries de la jeunesse au bord de l’Hers, les premiers choix radicaux, dans l’exaltation d’un mai 68 radieux…
Mai 68: révélation soudaine d’un champ immense de liberté où construire tous les possibles,
en surmontant avec orgueil les assignations sociales prédéfinies.
Par la plongée frénétique dans les livres, au croisement des amitiés initiatrices, concevoir un projet ambitieux, fabuleux, une librairie vouée aux auteurs essentiels, ceux des marges, des révoltes, les oubliés, les petits romantiques, les dédaignés, les éternels rieurs-joueurs habiles à
défaire les conventions langagières, à restituer l’éclat des mots, et tous leurs ricochets.
Ainsi, amorcée dès 1978, une quête fiévreuse permit de réunir un trésor de livres chinés à l’étal
des libraires parisiens, ou sur les quais, dans les salles de vente, ou sur le marché aux puces de St-Sernin. Il en tapissa peu à peu les rayonnages de la 1e librairie Champavert au 22 rue des Blanchers à Toulouse.
Ses partis pris littéraires : la constellation surréaliste, les petits romantiques dont Petrus Borel, qui lui fournit l’enseigne de sa librairie Champavert, (titre de l’un de ses romans), lui attirèrent d’emblée un public avide de découvertes, d’échanges.
En vitrine, 2 textes phares : l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton et l’Anthologie de l’amour sublime de Benjamin Péret. Elle aimanta tout de suite des personnalités toulousaines
liées au mouvement surréaliste : Adrien Dax, l’un de ses premiers clients, Raymond Borde, le directeur de la Cinémathèque, Jean-Claude Biraben le poète sculpteur d’objets improbables,
et nombre de jeunes sentant souffler en ce lieu un vent nouveau d’irrévérence, de liberté, un lieu où parler, lire, vivre, avaient un sens.
Le Hasard
: un mot fétiche
En 1981 un local nouveau s’offre au cœur du vieux Toulouse, tout près des puces de St-Sernin où Roger, en vieil habitué, dénichait alors maintes merveilles : livres brochés ou reliés d’auteurs méconnus, dessins ou gravures oubliés.
Ainsi, au 2 de la rue de Périgord, tout près de la B.M., le projet d’une librairie différente prit de l’ampleur : l’exiguïté de l’espace n’empêcha pas Roger de pénétrer dans le monde de l’image et d’établir des liens profonds entre les livres et les artistes.
Diane de Bournazel, Christian Melet vinrent lui rendre visite, et s’y sentirent bien.
Autre lieu improbable, et pourtant définitif : Gaillac et sa future galerie Loin-de-L’œil où depuis 2001 nombre d’aventures réjouissantes virent le jour, dans le tissage de liens anciens et de broderies nouvelles.
Dans le Tarn, Penne devint très vite aussi pour lui un château-fort de la pensée délirante, où les extravagances langagières de l’ami Noël Arnaud, conjuguées à celles de Jacques Caumont,
furent le moteur d’expositions revigorantes : La Langue verte et la cuite, l’exposition brouettique, hommage à un fou littéraire, le marquis de Camarasa, et prétexte à des créations savoureuses d’artistes contemporains.
Une Demeure pour les artistes
Ainsi, malgré les contraintes de la librairie à Toulouse, le travail pour les salles des ventes, les salons à tenir, des découvertes survenaient au moins une fois l’an au 3 rue Max de Tonnac, et ce jusqu’en 2023 où la rétrospective consacrée à Eliette Dambes, amie ancienne, nous révéla l’univers singulier et audacieux d’une artiste exigeante.
La maladie
Apparue il y a 3 ans dans la vie de Roger, elle n’a pas amoindri son désir de poursuivre toutes ses activités ; pour les mener à bien, il n’a reculé devant aucun traitement, faisant preuve d’un grand courage et d’une confiance étonnante.
Le « dur désir de durer » l’habitait.
Il y avait tant à faire encore !
Avant de « dormir, dormir dans les pierres »
Laurette
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