Devenir libraire d’occasion, construire de toutes pièces avec acharnement un univers de livres soigneusement choisis à partir de passions personnelles, le surréalisme d’abord et les petits romantiques, tel fut le projet de Roger Roques en sa 1e librairie, sise au 22 rue des Blanchers à Toulouse en 1979.
Située tout près de la Garonne, dans une rue animée où voisinaient encore des artisans, une cave de jazz, un théâtre, une galerie, et des restaurants, elle se signala par la mise en avant d’écrivains singuliers comme Petrus Borel, le lycanthrope, qui suggéra à Roger l’enseigne de sa librairie : Champavert, et surtout de la constellation surréaliste à travers ses plus grands auteurs, en éditions originales, si possible.
Le 2e local déniché en 1981 se situait dans le quartier historique des libraires et des bouquinistes, au 2 rue de Périgord, tout près de la place Saint-Sernin et de la Bibliothèque Municipale de Toulouse.
Au fil des années, l’éventail de son fonds s’élargit, allant des livres anciens rares aux courants littéraires marquants du XXe siècle : situationnistes, lettristes, pataphysiciens, fous littéraires.
Il participa régulièrement au marché du livre ancien organisé place Saint-Sulpice à Paris, à celui organisé par le SLAM à la Conciergerie, puis épisodiquement, à celui du Grand Palais,
ou du Palais Ephémère, précieux moments d’échanges avec des confrères ou des clients venus pour faire sa connaissance, après de simples achats par correspondance.
Ces événements étaient autant d’occasions mises à profit pour visiter certaines librairies parisiennes dont le choix de livres l’intéressait tout particulièrement ; chiner sur les quais, aux Puces de Clignancourt ou au marché Georges Brassens agrémentaient ainsi ses journées d’exposant, et lui permettaient d’acquérir de nouveaux ouvrages rares.
Pour faire connaître sa librairie en dehors de Toulouse, il se lança très tôt dans l’édition de catalogues papier aux notices soignées où l’érudition rivalisait avec l’humour ; ainsi il rencontra un nouveau public de collectionneurs et sut le fidéliser.
Il s’adonna aussi de temps à autre à l’édition de textes qui l’amusaient : ainsi pour Marc Papillon de Lasphrise poète baroque et érotique du 16e siècle , ou d’artistes contemporains dont il souhaitait faire découvrir la singularité, tel Christian Mélet et ses Quincailleries Végétales commentées par le poète Gaston Puel.
L’intrusion de l’informatique dans la vie des libraires le laissa pendant longtemps réticent et sceptique mais il finit par s’y résigner et élabora également des catalogues numérisés ; toutefois il continua à diffuser de temps à autre des exemplaires papier pour des sélections thématiques plus rares pouvant être par la suite plus facilement consultées, annotées, voire archivées.
A la fin des années 80 il commença à travailler avec le commissaire-priseur de Carcassonne, Jacques Deleau, pour organiser assez régulièrement des ventes de livres ; il fut ensuite sollicité à Toulouse par plusieurs salles des ventes, à l’hôtel St-Georges d’abord, puis chez Primardeco, rue du Rempart St-Etienne.
Ces tâches annexes l’entraînaient vers des recherches minutieuses et souvent ardues au Fonds Ancien de la Bibliothèque Municipale, ou dans sa salle de bibliographie, mais contribuaient également à accroître constamment sa connaissance des livres.
En 2001, il se lança dans une aventure nouvelle, celle d’une vaste galerie-librairie à Gaillac dans le Tarn, dénommée Loin-de-l’œil en rappel complice d’un cépage de blanc propre à ce terroir viticole. Cette ouverture se fit avec la complicité de l’ami Jacques Caumont, fin connaisseur de Marcel Duchamp, qui participa à la mise en œuvre de la première exposition consacrée à un peintre surréaliste vivant à Toulouse, Adrien Dax, un habitué de Saint-Cirq-Lapopie et des rencontres autour d’André Breton, et aussi l’un des premiers clients de Roger .
Il pouvait enfin y donner à voir dans 3 grandes salles des artistes qu’il aimait, en relation avec l’univers des livres : des surréalistes comme Adrien Dax, le belge Gilles Brenta, des curiosités littéraires comme La Langue Verte et la Cuite éditée par Jean-Jacques Pauvert en 1968, des diableries brouettiques en hommage au marquis de Camarasa qui enfantèrent même un colloque à Paris et un catalogue fort érudit où des notices superbement rédigées par Christian Dufour ne permettaient guère de distinguer le vrai du faux…
Ainsi se rencontrèrent jusqu’en mars 2023 Diane de Bournazel et ses livres enluminés, Christian Mélet et ses paysages de la mémoire, Jean Le Gac et ses herbiers, José Argémi, Jean Perdrizet et leurs machines à rêver, Jean Vodaine et ses poèmes affiches, Gudrun et ses pensées peintes, Edgar Jené et ses paysages fantastiques, les étranges roses photographiées par Dominique Laugé, Jean Hélion, Jean Depara et ses photos d’une jeunesse congolaise inoubliable, Jean-Claude Biraben et ses facéties sculptées et écrites, Corinne Deniel et ses images reconstruites.
La dernière exposition dont le vernissage eut lieu le 17 décembre fut consacrée à l’artiste toulousaine Eliette Dambès, très proche de l’esprit du surréalisme, amie ancienne liée aux éditions de l’Ether Vague- Patrice Thierry, qui nous fit le grand plaisir de présenter une rétrospective de son travail à travers dessins, peintures, cabinets de curiosité, relevés de fouilles archéologiques, un ensemble impressionnant par l’originalité des sujets traités et la perfection des techniques utilisées.
La clôture de cette exposition très admirée se fit le samedi 25 février par une performance chorégraphique confiée à la danseuse Anna Pietsch.
Ainsi se clôtura une vie passionnée de libraire aimant le mélange des genres, les pas de côté, la fantaisie érudite, les aventures collectives et toutes les tentatives d’exploration des imaginaires.
Laurette Llahi-Roques
les catalogues de la librairie en diaporama ou en pdf
diaporama musicale catalogue en pdf
Les morts vivent et, avec eux, les rêves qui les ont portés - (Gustav Landauer)
Roger, tu as aimé le mouvement DADA, comme les surréalistes, et tu as bien raison, tes choix d’exposants ont montré ton amour pour cette aventure lumineuse. Nous y reviendrons..
Dans cette petite librairie "Champavert." au N° 2 de la rue de Périgord, Roger était là, dans ses papiers, ses pensées, toujours accueillant.
De nombreux auteurs se sont invités dans cette librairie pittoresque où l’on ne passait pas par hasard
En balade dans les rayonnages, on pouvait croiser, Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Ludwig Andreas Feuerbach, Karl Marx, Friedrich Nietzsche, Emmanuel Kant, Johann Gottlieb Fichte, David Hume, Baruch Spinoza, Gunther Anders, Herbert Marcuse, Walter Benjamin, Ludwig Wittgenstein, Emile Durkheim, Sainte Beuve, Kierkegaard, Saint Simon, Hannah Arendt, Saint Augustin, Sun Tzu, Rousseau, Voltaire, Diderot, Michel de Montaigne, Valéry, Henri Lefebvre, Bruno Bettelheim, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Felix Guattari, Miguel Benasayag, Stiegler, Bourdieu, Sartre, Beauvoir, Alexandre Kojève, Adam Smith, jeremy Bentham, Pascal Bruckner, André Gorz, Henri Bergson, Jacques Derrida, Machiavel, Ivan Illich, Blaise Pascal, Jean Baudrillard, Roland Barthes, Edgar Allan Poe, Stefan Zweig.
En tendant l’oreille, entendre murmurer F. Villon, Jean Malaquais, Dos Passos, Franz Kafka, Henry Miller, Georges Orwell, Howard Fast, Upton Sinclair, Maxim Gorki, Bertolt Brecht, Vladimir Maïakovski, R. Maria Rilke, Louis Aragon, Paul Éluard, Jean Giono, Romain Gary, G. Apollinaire, Arthur Rimbaud, Robert Desnos, Pablo Neruda, Arthur Cravan, Benjamin Péret, Lautréamont, Leonora Carrington, Marcel Moore et Lucy Schwob, Dorothea Tanning, Jacques Prévert, Alfred Jarry, Jean Cocteau, André Breton, Henri Michaux, Paul Gauguin, Marcel Duhamel, Maurice Nadeau, Octave Mirbeau, Louis Ferdinand Céline, Raymond Queneau, Jack London, John Steinbeck, Charles Baudelaire, André Malraux, Les frères Marx, Jules Laforgue, Blaise Cendrars, Milan Kundera, Balzac, Proust, Paul Morand, Michel Butor, adolf Rudnicki, Victor Hugo, Émile Zola, Jean Rostand, Boris Vian, Albert Camus, Henry Poulaille, Édouard Dolléans, Mezz Mezzrow, Emmett Grogan, Angela Davis, kate Millett.
Parfois, se glissait dans un rayonnage, une souris bibliophile, entre Agricol Perdiguier, Howard Zinn, Noam Chomsky, Alfred Rosmer, Sylvain Maréchal, Fustel de Coulange, E. Reclus, Joseph Proudhon, Michel Bakounine, A. Berkman, Emma Goldman, Voltairine de Cleyre, Victor Serge, Daniel Guérin, Jean Maitron, Voline, W. Godwin, Hans Magnus Enzensberger, Joseph Déjacque, David Thoreau, Karl Korsch, Gracchus Babeuf, Auguste Blanqui, Georges Sorel, Gramsci, Charles Fourier, Baltasar Gracián, Simone Weil, Rosa Luxemburg, Alexandra Myrial, J-Paul Marat, Luis Mercier Vega, Asger Jorn., E. Debord, Michèle Bernstein, Mustapha Khayati, Attila Kotányi, René Riesel, Raoul Vaneigem, René Viénet, Gianfranco Sanguinetti.
Mais aussi des dadaistes comme Tristan Tzara, Man Ray et lee Miller, Frida Kahlo, René Clair, Francis Picabia, Sophie Taeuber, Luis Buñuel, Salvador Dali, Jean Arp, Marcel Duchamp, Heinrich Hoerle, Richard Huelsenbeck, Vicente Huidobro, Marcel Janco, Franz Jung, Adon Lacroix, Pierre de Massot, Walter Mehring, Clément Pansaers, Benjamin Péret, Ribemont-Dessaignes, Hans Richter, Jacques Rigaut, Erik Satie, Christian Schad, Rudolf Schlichter, Otto Schmalhausen, Kurt Schwitters, René Crevel, Jean Joseph Crotti, Paul Dermée, Otto Dix, Théo van Doesburg, Suzanne Duchamp, Viking Eggeling, Paul Éluard, Max Ernst, J. Evola, Otto Flake, Théodore Fraenkel, Georges Grosz, Raoul Hausmann, John Heartfield, Wieland Herzfelde, Emmy Hennings, Hannah Höch, Unica Zürn, Kurt Schwitters
des surréalistes, Hans Bellmer, Ejler Bille, Michel Zimbacca, Jacques Zimmermann, Aloys Zötl, Ramsès Younane, Alois Wachsman, Patrick Waldberg, Otto Wols ou alfred Otto wolfgang Schulze, Peter Wood, René Magritte, Joan Miró, Franklin Rosemont, Raymond Queneau, Pierre Peuchmaurd, Jean-Pierre Duprey, André Masson, Roberto Matta Echaurren, Gérard Legrand, Jean Auguste Marember, Randovan Ivsic , Adrien Dax, Christian Mellet, et bien d’autres suivant nos visites .
Et malgré l’espace réduit de la librairie, tous ces personnages formaient autour de Roger un univers fantastique, funambulesque où l’on se sentait en harmonie.
Salut Roger, tu restes près de nous.
momo
Si l’agriculture manque de bras, la Littérature ne manque pas de pieds
Willy Mitchell